Métiers oubliés… Il n’y a pas que les ménageries foraines et leurs dresseurs de fauves qui ont disparus de nos fêtes foraines… Les entresorts de dresseurs de puces savantes ne s’y installent plus depuis déjà belle lurette. Pourtant, de grandes « figures » ont marqué de leur empreinte cette activité insolite qui attirait un public chaque fois surpris des exploits de ces petits insectes. Parmi ces dresseurs, « les » professeurs Schmidt, dont plusieurs générations se sont produites sous ce nom, mais aussi les Roloff oncle et neveu, sans oublier Madeleine Wagner, fille d’un talentueux dresseur s’il en fut. « Portraits » d’un métier disparu à jamais de nos fêtes, vogues, foires et kermesses…
L’origine des puces savantes Les puces existent depuis le commencement du monde, ou presque, et d’aucuns affirment que l’origine de cet art remonte à la plus Haute Antiquité : Cléopâtre adorait, paraît-il, se faire présenter par ses esclaves, des puces trainant de petits fardeaux au moyen d’un fil de soie… D’autres prétendent que son origine date du Premier Empire, époque où les prisonniers Français, gardés par des soldats Anglais sur des pontons de bois grouillant de vermine, eurent l’idée – pour passer le temps - de capturer les puces dont ils étaient couverts afin de s’amuser à leur faire traîner des petits morceaux de bois et autres objets modelés par leurs soins… Loin de nous, l’idée de nous immiscer dans cette querelle d’ « historiens », mais force est de constater que la première hypothèse semble la plus vraisemblable. D’autant plus que Brienne évoque les puces savantes dans ses « Mémoires », que Mme de Sévigné le fait aussi dans les lettres à sa fille, sans oublier La Bruyère à la fin du chapitre des « Jugements » ainsi que l’écrit Victor Fournel dans « Les rues de Paris ». Quoi qu’il en soit, en 1804, un matelot allemand montrait déjà, au microscope, des puces dont il avait fait le dressage, dans un spectacle qui fut très prisé du public, tant au dix-neuvième, qu’au début du vingtième siècle.
LES ROLOFF Né en Tchécoslovaquie, Roloff, éminent dresseur de puces habitué des fêtes parisiennes dans la première moitié du vingtième siècle, portait le nom de son oncle, d’origine roumaine, qui se produisait déjà comme dresseur de puces sur les fêtes et foires européennes. Un oncle qui vint à ce « métier » de bien curieuse façon… En effet, vers 1838, l’oncle Roloff, courtier en bijouterie était de passage en Italie lorsqu’un meurtre fut commis dans l’hôtel où illogeait. Soupçonné malgré ses protestations, Roloff qui était en possession de bijoux (ceux qu’il venait vendre !) fut emprisonné. Ce n’est que deux ans plus tard, lorsqu’on découvrit enfin le véritable assassin qu’il fut relâché après avoir croupi dans une cellule infestée de poux et de puces, qui n’avaient rien de savantes ! Pour tromper l’ennui, il eut l’idée d’en capturer quelques-unes, et de les attacher à l’aide d’un de ses longs cheveux qui n’avaient pas connu la caresse du peigne depuis de longs mois. Avec ce qu’il pouvait trouver dans sa cellule, il fabriqua des petites voitures, et lorsqu’il sorti de prison, ne voulant absolument plus entendre parler de négoce de bijoux, il s’improvisa dompteur de puces… Il substitua à ses cheveux de minces fils d’or, et confectionna des véhicules miniatures en argent avant de rencontrer –très vite- le succès et parcourir le monde…
Des champs de foire au Vatican En 1888, Roloff et sa troupe « d’artistes » savants se produisirent devant la Reine Victoria à la Cour Impériale de Russie. Ils furent aussi accueillis par différents monarques et, en 1896, Pape Léon XIII les applaudit au Vatican. Roloff l’aîné était alors au sommet de sa gloire. Il gagnait 40 livres par jour et trouvait encore le temps de construire des baraques semblables à la sienne qu’il céda notamment à Mmes Hausschild et Schilling, à MM. Schneider, Tansiq, etc., qui firent également les beaux jours du métier sur les champs de foire européens.
Le neveu prend la relève C’est à cette époque que son neveu vint travailler avec lui. Cela dura quelques années, et lorsque son oncle mourut, à Rome, en 1900, il lui légua son matériel et sa troupe d’artistes, lui laissant le soin de poursuivre le métier sous le nom de Roloff. Roloff le neveu tourna alors pendant de longues années sur les foires avec ses puces savantes. Il leur fit tirer d’invraisemblables attelages en argent et de dimensions microscopiques, un corbillard, une locomotive, une pompe à incendie qui, chaque fois, ravissait le public… Certes, le spectacle ne durait que quelques minutes, guère plus, mais cela suffisait à juger l’habileté des artistes. D’ailleurs, le succès le conduisit, comme son oncle avant lui, à voyager un peu partout en Europe, mais aussi en Amérique où le public se pressait autour de sa petite table de démonstration !
LE PROFESSEUR SCHMIDT Autre famille de dresseurs de puces, les Schmidt. A la tête de son… « Théâtre des Puces Savantes » avec plus de 200 « artistes » à l’affiche, Robert Schmidt parcourait les champs de foire de France et d’Outre Quiévrain où il collabora un temps au journal professionnel « La Comète Belge ». Dans un article paru à la fin des années 40, L’Inter-Forain rappelait combien notre homme était à son aise derrière le plateau scénique de son « Théâtre ». Après guerre, sur l’affiche de sa baraque, on pouvait lire : « 200 puces dressées, présentées par le dresseur Robert, l’unique dresseur français de la famille Schmidt, les créateurs du genre. A chaque séance le programme suivant est présenté en entier :
Le public faisait la queue devant la baraque qui venait rarement à Paris, hormis à la fête de Montmartre. Il est vrai qu’à l’époque, Robert Schmidt, alerte septuagénaire aux cheveux blanc obtenait des résultats surprenants. Tour à tour jongleuses, acrobates, équilibristes, danseuses… ses « puces » entraînaient le public dans un spectacle à nul autre pareil. Pourtant, ce n’était pas une mince affaire que de les saisir et de les manipuler - à l’aide d’une petite pince de bijoutier - sans les écraser ! Sans compter que notre dresseur devait rattraper ses petits pensionnaires qui s’échappaient, mais aussi les attacher par le cou de la même façon qu’on passe un collier avec une laisse à un chien. Si ce n’est que la manœuvre, minutieuse en diable, réclamait un doigté spécial. Un exercice dans lequel Robert Schmidt excellait !
Des performances étonnantes Une fois le boniment terminé et le public installé à l’intérieur de la baraque, c’était, chaque fois, le même rituel… Notre homme s’installait à une table placée devant lui. Table sur laquelle le public découvrait alors un cirque miniature avec des gradins sur lesquels étaient assis de petits personnages de plomb. La loge des « artistes » était constituée d’une série de petites boîtes bien fermées dans lesquelles les puces se trouvaient munies de leurs accessoires. Un micro cravate autour du cou et cela dès l’après-guerre, Robert Schmidt commentait le programme, permettant ainsi au public de suivre l’évolution de ses « artistes » sur la piste : défilé des véhicules (camion, vélo, carrosse, corbillard, etc.). Incroyable, mais vrai ! Le public ébahi voyait les roues tourner, les pédales fonctionner… Il assistait même à un match de foot avec, en guise de ballon, des boules grosses comme un petit pois ! Devenue acrobate, une des vedettes de la troupe évoluait ensuite sur un fil, tel un acrobate, alors qu’une autre soulevait un poids mille fois plus gros qu’elle… Sans oublier le « clou » du spectacle : un ballet de puces vêtues de tutus multicolores et valsant au rythme de la musique. Bref, un univers surprenant qui explique le succès de cette attraction des années durant. A l’époque, L’Inter-Forain, présentant notre homme, rappelait que le Professeur Robert assurait seul le ravitaillement de son cheptel, précisant même : « Avant la matinée ou la soirée, il place les puces sur ses bras où elles sucent son sang pendant un certain temps. Gonflées à bloc, les puces sont alors plus vigoureuses et M. Robert peut ainsi montrer ses bras ornés de lentilles rouges au public car, immunisé par les piqures successives, les traces disparaissent vite (…) ». Comme a aujourd’hui disparu de nos fêtes ce genre de spectacle qui, dans les années 50 faisait encore la joie et bonheur du public !
MADELEINE WAGNER C’est à la mort de son père, Paul, que Madeleine Wagner, alors âgée de 18 ans, lui succèda à la tête du… « Théâtre des Puces Savantes ». Belge de naissance, Paul Wagner a longtemps tourné sur les champs de foire d’Outre Quiévrain, après avoir apprit le métier avec Mme Anna. L’art du dressage des puces ayant ses maîtres comme Emma Sténégry et son « Salon des Puces Savantes », Roloff, habitué des fêtes parisiennes, le Professeur Schmidt (il y en eut 3 générations) … Après de nombreuses tournées sur les champs de foire belges, à Liège notamment, Paul Wagner et sa famille s’installèrent en France et tournent sur Paris et la région parisienne avec leurs puces savantes. Ainsi que le relatait L’Inter-Forain dans les années 50, la jeune Madeleine excellait dans son « Théâtre ». Il est vrai qu’elle était allée à bonne école puisque son père lui avait enseigné l’art du dressage dès son plus jeune âge…
Des performances étonnantes Une fois le boniment terminé et le public installé à l’intérieur de la baraque, le « Rose » précisait alors que c’était, chaque fois, le même rituel… Après avoir passé au front une visière de cellophane, elle sortait délicatement d’une boîte de minuscules voitures attelées (à ses « artistes » maison, bien sur !) pour la composition de son programme : rouleau compresseur, corbillard… que ces « vedettes », attachées à un fil de soie, tiraient de toute leur force, sans oublier les manèges qu’elles faisaient tourner, ou les petites boules de sureau qu’elles faisaient rouler de leurs pattes au grand étonnement des spectateurs peu habitués à de tels attelages. Patience et dextérité faisaient partie du quotidien de celle à qui les puces savantes –capables des performances les plus étonnantes- obéissaient au doigt et à l’œil ! Sa ménagerie tenait dans quelques boîtes au format de grosses boîtes d’allumettes. Et, à l’intérieur de son « Théâtre des Puces Savantes », Mlle Wagner commentait en peu de mots son travail alors qu’une loupe circulait de spectateurs en spectateurs afin qu’ils puissent admirer le travail de la dresseuse à la tête d’une troupe de cent cinquante « artistes » qu’elle faisait travailler sur les fêtes de l’Hexagone, que ce soit à Neuilly, ou encore à la fête du Lion de Belfort, place Denfert-Rochereau, à Paris, où, au début des années 50, son « Théâtre des Puces Savantes » côtoyait les dernières ménageries foraines, où encore la baraque des « Filles de Feu » où Wanda triomphait en parade…
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